Au-delà du pittoresque des gorges, la valeur paysagère
à la fois constante et originale mise en évidence par la littérature
du XXe siècle, est cette perception d’un paysage Lozérien
d’altitude dont les horizons vastes, infinis, ouverts longuement sur
le ciel, prend une dimension spirituelle, presque mystique. Cette dimension
a parfois été saisie dès le XIXe siècle.
« Plus haut on monte, plus sauvage est le paysage
qu’on traverse, mais d’autant plus beau, vaste et varié
est celui qu’on aperçoit au loin (…) Le champ visuel est
de plus en plus étendu, les vallées sont de plus en plus profondes.
Le regard dépasse déjà les contreforts extérieurs
des Cévennes. Encore un sommet à escalader et enfin,après
quatre heures d’ascension, on est arrivé. Quel panorama ! (…)
Devant une telle perspective on est ébloui, confus en croyant voir
se lever le rideau qui cache l’infini aux mortels. »
Christian Friedrich Mylius, 1818-1819,
Malerische Fussreise durch das südliche Frankreich und einen Theil von
Ober-Italien, Karlsruhe, vol II (trad. L. Kolz dans l’appendice III
à A. Ebrard, Voyages dans les Cévennes en l’an 1877,
Alès 1985
« Une attraction sans violence, mais difficilement résistible
me ramène d’année en année, encore et encore,
vers les hautes surfaces nues, basaltes ou calcaires du centre et du sud
du Massif : l’Aubrac, le Cézallier, les planèzes, les
causses. Tout ce qui subsiste d’intégralement exotique dans
le paysage français me semble toujours se cantonner là : c’est
comme un morceau de continent chauve et brusquement exondé qui ferait
surface au-dessus des sempiternelles campagnes bocagères qui sont
la banalité de notre terroir. Tonsures sacramentelles, austères,
dans notre chevelu arborescent si continu, images d’un dépouillement
presque spiritualisé du paysage, qui mêlent indissolublement,
à l’usage du promeneur, sentiment d’altitude et sentiment
d’élévation ».
Julien Gracq, Aubrac
« Croix de basalte monolithiques de l’Aubrac,
grossières, presque informes, à la tête et aux bras très
courts, plantées de guingois sur un simple entassement de blocs de
lave et qui semblent l’ébauche d’un trait d’union
entre le monde mégalithique et le monde chrétien ».
Julien Gracq, « Liberté Grande »,
éd. Corti 1946
« Rarement je pense au Cézallier, à
l’Aubrac, sans que s’ébauche en moi un mouvement très
singulier qui donne corps à mon souvenir : sur ces hauts plateaux
déployés où la pesanteur semble se réduire comme
sur une mer de la lune, un vertige horizontal se déclenche en moi
qui, comme l’autre à tomber, m’incite à y courir,
à perte de vue, à perdre haleine ».
J. Gracq, « Carnets du Grand Chemin »,
éd. Corti 1992
« Dire qu’il cède à l’appel
de la beauté de ses paysages, d’une beauté à la
fois étrange et sublime, faite de vastes espaces et de brusques ouvertures
d’abîmes, de hauts plateaux et de gorges profondes, ne nous livre
pas le secret de la fascination qu’il éprouve. Même s’il
dit « c’est beau ! ». Il ne fera que toucher à l’apparence
des choses. Ce qui l’arrête ici, en réalité, c’est
lui-même ! Ce qu’il cherche dans ces horizons et ce qu’il
y trouve, c’est sa propre humanité »
A. Chamson
« Voici donc la montée vers cette terre
haute où une vie nouvelle est peut-être possible. Un endroit
qui échappe aux puissances du monde, une sorte de lieu d’asile
»
Nicole Lombard, Etrangers sur l’Aubrac, les
ed du Bon Albert, 1999
« Il est absurde, sans doute, de faire des listes
de lieux, pour la Lozère : car la Lozère est un non-lieu. On
ne va pas pour y voir ceci ou cela, on y par pour y éprouver, on y
va pour y être. La Lozère est pur espace ; et l’espace,
c’est le contraire du lieu : ce qui lui échappe de toute part
»
Renaud Camus, le département de la Lozère,
POL 1996
« L’herbe ici (sur le Mont Lozère)
est entourée de ciel, et nous aussi. Il y a beaucoup de ciel au-dessus
de notre tête, évidemment -mais beaucoup aussi sous nos pas
; beaucoup devant, beaucoup derrière : jusqu’à l’Aigoual,
jusqu’au Ventoux, jusqu’à la Garde-Guérin, et jusqu’au-delà
de Fortunio.
L’herbe, le ciel et nous sommes pétris dans la même impalpable
matière, modelés dans une unique substance diffuse , allégés
dans le sein d’une seule non-matière, une couleur sans support,
une vue sans image, volume sans épaisseur, sans résistance,
sans limites ni contours. Au sommet du Lozère on marche dans le ciel,
indéfiniment.
(…) On y marche comme on ferait sur la grève, sur une terrasse
ou dans un rêve. Pas un arbre, aucun repère : le pur délice
sans chemin. (…) Nul effort spécial à fournir. Les jambes
et le torse s’oublient, le promeneur est un corps glorieux, le sport
serait un peu vulgaire : nous ne sommes pas des alpinistes. Nous sommes pourtant
des passagers du vide, des compagnons errants de l’air, sentinelles
au balcon de vivre, spectres joyeux dans la lumière ».
Renaud Camus, le département de la Lozère,
POL 1996