> Les fondements
des paysages : sommaire
I. Fondements géographiques et historiques
- 1. Les paysages et les reliefs
- 2. Les paysages et la géologie
- 3. Les paysages et l’eau
- 4. Les paysages et la couverture
boisée
- 5. Les paysages et l’espace
agricole
- 6. Les paysages, l’urbanisation
et les infrastructures
II. Fondements culturels :
Aperçu sur les représentations des paysages du Gard
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> Les fondements des
paysages du Gard
II/ Fondements culturels
Aperçu sur les représentations
des paysages du Gard
Les Cévennes
Comme pour tous les pays de montagne, les regards portés
sur les Cévennes ont longtemps été sans concession.
« Je vous écris du plus vilain pays du
monde »,
écrit en 1703 l’intendant du Languedoc Bâville
à son frère.
Austère beauté d’un paysage tourmenté
Le paysage Cévenol naît progressivement sous
le regard des témoins. Dans ces témoignages, l’élément
le plus frappant reste en première approche l’aspect physique
des Cévennes, dont les successions de serres et de pentes raides, perçues
des hauteurs, évoquent souvent des images marines, tourmentées,
à la beauté austère :
Onésime Reclus, depuis le col de Jacreste, évoque
ce lieu :
« d’où l’on embrasse le mieux
dans son ensemble la houle pétrifiée, les vagues ou parallèles
ou obliques ou perpendiculaires entre elles de la mer des Cévennes,
tempête sauvage de 110 000 hectares figée dans une impassibilité
cosmique ».
Stevenson, dans ses « Voyages avec un âne dans
les Cévennes, en 1878, parle d’« inextricables montagnes
bleues » et d’un « pays tourmenté et hérissé ».
« C’est un château d’eau, avec
le double piédestal des massifs du Lozère et de l’Aigoual,
massifs réunis par une chaîne montagneuse que chaque ruisseau
a martyrisé, torturé, trituré, creusé, façonné,
pour finalement former un enchevêtrement de crêtes, d’arêtes,
d’abrupts, d’à-pic qui donnent au pays un relief d’une
âpreté rarement atteinte ».
André Bernardy
Pierre Dévoluy évoque :
« tout un chaos touffu de montagnettes arrondies,
vêtues jusqu’à leur dôme de vert, de roux, d’ardoise
des granits, des schistes où le mica, luisant au soleil, fait comme
un ruisselet d’eau miraculeuse, aux long des pentes le matin ».
Paysage d’homme
Au-delà de cette impression physique forte, les Cévennes prennent
d’autant plus de valeur que le milieu physique, bien que âpre
et dur, apparaît entièrement façonné par l’homme
:
« Si je fus d’abord séduit par le
paysage physique, l’austère beauté des Cévennes,
je me rendais compte que ce paysage était fondamentalement humain,
construit par la main de l’homme, et ce sont les hommes que, dès
lors, je rencontrais avec passion ».
J.N. Pelen,
l’Autrefois des Cévennes.
C’est pourquoi l’évolution des 100 dernières
années, où les Cévennes se sont vidées de leurs
hommes, où les traces de l’homme s’effacent, semblent une
perte terrible évoquée dans la littérature :
« Cette Mort est venue. Elle fauche nos vignes,
Elle écroule nos mines. Elle jette aux orties les usines
Et les gares. Elle ferme l’école et elle ouvre un camp.
Elle vide un village et crée une réserve. Elle fait
Des déserts et elle y met le feu. Elle étend la misère
Et y promène un luxe à quatre étoiles … »
Claude Alranc,
la mort d’un pays
Les accents mystiques d’un monde à part
La puissance des éléments naturels, et l’histoire
dure, voire douloureuse du pays, terre de refuge et de résistance pour
les Camisards, se traduisent par des évocations de paysages à
part, dramatiques :
« Lorsque, du château de Tornac, on aperçoit,
à travers les deux murailles de calcaire d’Anduze, dans la brume
violette du soir, le chevauchement des serres schisteuses, comme un obstacle
majeur à la pénétration, on ressent physiquement l’impression
d’un monde secret qu’il faut mériter. Au fur et à
mesure que l’on s’enfonce au cœur du massif, par des routes
étroites et sinueuses, la rupture avec l’univers aimable et
facile de la plaine devient totale. Le contact est parfois rude, toujours
déconcertant ; quelques uns ne pourront jamais s’y faire, mais
pour beaucoup d’autres, c’est la révélation ».
Philippe Joutard,
la montagne secrète « Découvrir la France » Larousse
1974.
Les évocations de l’Aigoual traduisent la force
des éléments originels. L’Aigoual, pour Onésime
Reclus, c’est le
« pilier des tempêtes, la vigie, le menhir
(…) qui (…) raconte les batailles célestes de l’année,
entre les ouragans arrivés des quatre coins de l’espace ».
« Le ciel souffle de tous côtés sur
cette coupole vêtue d’herbe rase, sur ce promontoire hercynien,
porteur de la rose des vents…La terre est là, comme indifférente
à cette fureur, tannée par les siècles, attachée
à ses profondeurs par mille racines … Le torrent naît,
chapelet de gouffres et de cascades, noria qui descend éternellement
pour ne remonter vers le ciel que par l’escalier des nuages à
l’appel des soleils d’été. Qui ne connaît
pas cela où tous les ordres de vie se confondent n’a pas découvert
les secrets de cette montagne »
André Chamson,
Les Quatre éléments, 1935.
Dans un tel cadre naturel et historique, les paysages prennent des accents
mystiques. Il y souffle ce qu’André Chamson appelle « un
air d’éternité », où se dégage «
la » vérité :
« Sur un désert de troncs frappés
par la foudre, d’arbres nains et de rameaux décharnés
couverts de lichens et de mousses, sur un paysage d’astre mort et de
sortilège, l’Aigoual se soulève comme une épaule
de Dieu couché sur le flanc »
André Chamson
« Cette vérité, les châtaigniers
noueux et les sentiers aux schistes luisants sous la lune, n’en portent,
bien entendu, aucune trace visible. Pourtant, aux visiteurs clairvoyants,
ils se font une joie de la révéler »
pasteur Raoul Lhermet
Le charme étrange des impressions mêlées
Dures et douces à la fois, montagneuses et méditerranéennes,
humaines et bibliques, les Cévennes dégagent le « charme
étrange » qu’évoque Maurice Chauvet
:
« De ces élévations chaotiques et
vertes sous la voûte de cristal du ciel méditerranéen,
se dégage un charme étrange, les Cévennes sont lumineuses
et veloutées, rudes et tendres, héroïques et agrestes
tout à la fois. La Salindrenque et l’Alzonnenque évoquent
tantôt la Judée tantôt la Thessalie, les prophètes
et Théocrite, la Bible huguenote et la pastorale de Florian. Leur
austérité se tempère toujours d’une note aimable
et claire : un mas blanc sur la pente avec sa terrasse ensoleillée,
ses murettes de pierres sèches, attestant le travail de l’homme
toujours et que rien n’écrase, ni ne rapetisse dans cette montagne
à sa mesure qui porte à la méditation humaniste plutôt
qu’aux sommets du lyrisme ; à la vie intérieure, non
à l’anéantissement ».
Maurice Chauvet
« L’élévation des Cévennes
tient peut-être moins à la géographie qu’à
un état d’esprit, un état d’âme, un état
d’homme »,
résume Nicolas Domenach.
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