> Les fondements
des paysages : sommaire
I. Fondements géographiques et historiques
- 1. Les paysages et les reliefs
- 2. Les paysages et la géologie
- 3. Les paysages et l’eau
- 4. Les paysages et la couverture
boisée
- 5. Les paysages et l’espace
agricole
- 6. Les paysages, l’urbanisation
et les infrastructures
II. Fondements culturels :
Aperçu sur les représentations des paysages du Gard
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> Les fondements des
paysages du Gard
I/ Fondements géographiques
et historiques
3. Les paysages et l’eau
L’eau dessine des sites plutôt que des grands paysages
Le réseau hydrographique du Gard s’organise à partir
de quatre rivières principales :
- l’Ardèche en limite nord du département ;
- la Cèze, alimentée principalement par la Tave ;
- le Gardon, avec ses deux branches principales : Gardon d’Alès
et Gardon d’Anduze ;
- le Vidourle, plutôt fleuve que rivière, alimenté en
particulier par le Vistre.
Elles prennent leur source dans les Cévennes et rejoignent le Rhône
à l’est ou la mer au sud, en traversant le pays des Garrigues.
Des paysages d’eau extrêmement variés
Le paysage de l’eau prend des formes extrêmement
variées dans le Gard :
- paysages de rivières dans les fonds en V des vallées Cévenoles
;
- paysages d’oued dans la traversée des garrigues, sans eau
apparente, où blanchissent au soleil les masses calcaires polies
et les galets roulés arrachés aux Cévennes, tandis
que l’eau disparue poursuit sa route dans des galeries souterraines
;
- paysages de gorges, où l’eau scintille au pied de hautes
parois calcaires qui dessinent de véritables canyons ;
- paysages frais et ombragés des rivières qui contrastent
avec la sécheresse et la lumière des garrigues pourtant
toutes proches ;
- paysages des eaux dormantes et miroitantes des zones humides de la Camargue,
qui se cachent discrètement dans l’horizontalité totale
du delta et dans les masses des roseaux qui les bordent ;
- paysage puissant du Rhône dans sa descente vers la mer, aujourd’hui
confisqué au regard par les digues qui corsètent le fleuve,
et révélé à la faveur des ponts, ou des collines
calcaires qui dominent la vallée.
L’eau dessine des sites, souvent inattendus et exceptionnels
Souvent cachée et discrète, l’eau ne
dessine pas d’unités de paysage à l’échelle
du département, mais plutôt des sites, souvent inattendus
et exceptionnels. Il n’y a qu’en Camargue que les étangs
prennent des dimensions de grand paysage. La présence de l’eau
distingue d’ailleurs la Camargue des marais, autour d’Aigues-Mortes,
de la Camargue cultivée, qui s’allonge de Saint-Gilles à
Beaucaire, où l’agriculture plus intensive domine.
Une eau fantasque dans son parcours, qui dessine les sites naturels les
plus spectaculaires
*carte hydro gorges.jpg
Les étranges passages en force de l’eau dans le Gard
De
façon surprenante, - et cela contribue largement à la valeur
des paysages Gardois-, l’eau s’offre des libertés fantasques
avec la logique des reliefs.
Les sommets des Cévennes, accrochant les masses d’air humides,
reçoivent les précipitations les plus importantes. Sur ces
sols pentus, parfois friables avec les schistes, l’érosion
est intense et a dessiné les vallées en V profondes Cévenoles.
Celles-ci débouchent d’un coup, presque sans transition,
dans la plaine bordière du « fossé d’Alès
» qui marque le seuil entre Cévennes et Garrigues. Pour traverser
le monde des Garrigues et rejoindre le Rhône à l’est
ou la Méditerranée au sud, les eaux n’ont bizarrement
pas dessiné et suivi des plaines continues. Elles passent en force
à travers les massifs calcaires :
- la Cèze ne suit pas la plaine de Saint-Ambroix allongée
vers le sud mais la traverse d’ouest en est et s’enfonce en
gorges de Tharaux à Saint-André-de-Roquepertuis ;
- le Gardon ne contourne pas le massif calcaire Urgonien des Garrigues
de Nîmes mais y passe également en force, dessinant des gorges
dans les marges nord du massif entre Russan et le Pont du Gard ;
- même lorsqu’il touche la plaine attenante, comme au Pont
Saint-Nicolas et à Collias, le Gardon ne s’échappe
pas du massif mais repart en boucle pour poursuivre le creusement des
gorges ;
- non loin de là, l’Alzon ne contourne pas la colline d’Uzès
par l’ouest mais taille sa route directement par l’est, formant
les gorges de la vallée de l’Eure, du nom de la source qui
alimente la ville ;
- la modeste rivière des Seynes s’offre également
des passages en force, modestes et discrets comparés aux exemples
précédents mais qui participent de cet étonnant trait
de caractère des eaux dans le Gard : petites gorges pour s’échapper
de la cuvette de Belvézet, petites falaises non loin d’Arpaillargues
;
- la vallée sèche entre Pouzilhac et Remoulins descend en
droite ligne du nord au sud, en force dans les calcaires, ignorant superbement
la structure du socle Urgonien rencontrée à mi-parcours,
aux accidents tectoniques orientés est-ouest avec la dépression
et l’anticlinal de Valliguières.
Le phénomène de surimposition
C’est
le phénomène de surimposition qui explique cette curieuse
liberté que semble prendre l’eau avec la logique des reliefs.
Les rivières ont creusé leur lit dans les dépôts
sédimentaires tendres du Miocène qui couvraient le socle
calcaire dur Urgonien. Les rivières se sont peu à peu approfondies
jusqu’à atteindre le socle Urgonien sous-jacent, à
son tour lentement scié par les eaux qui y on imprimé leur
cours. Lorsque les dépôts sédimentaires du Miocène
ont disparu, déblayés par l’érosion, le creusement
du socle Urgonien était entamé et n’a fait que se
poursuivre au fil des siècles sans changer d’emplacement,
générant ces gorges et ces entailles curieuses et inattendues
que nous admirons aujourd’hui.
L’eau dessine les sites naturels les plus spectaculaires
Cette
distorsion entre la logique des reliefs et celle des eaux a contribué
à forger les sites naturels parmi les plus spectaculaires et les
plus fréquentés du département : gorges de la Cèze,
gorges du Gardon, concluses de Lussan, etc. Ce phénomène
s’ajoute aux reliefs plus spectaculaires encore des gorges qui taillent
profondément les causses. Dans le département du Gard, en
limite avec l’Hérault, il s’agit essentiellement des
gorges de la Vis. L’étonnant « cirque » de Navacelles
s’y love, né d’un raccourci pris par l’eau il
y a 4 000 ans environ, qui a laissé une boucle de la Vis à
sec.
Une eau intensément appropriée
Dans un pays de soleil, où les chaleurs estivales
sont fortes, ce sont les paysages de l’eau qui attirent le plus
et font l’objet des pratiques de loisirs les plus massives : baignades,
canoë-kayak, escalade sur les parois des gorges, et bien sûr
bains de mer. Ce sont aussi les paysages de l’eau qui sont aussi
les plus valorisés en terme écologique (zones humides de
la Camargue, ripisylves des rivières).
Une eau dangereuse qui contribue à modeler l’organisation
du territoire
Les
chemins fantasques pris par l’eau dans la traversée des Garrigues,
alternant passages en plaines et en gorges, contribuent à en faire
une eau dangereuse qui se rappelle brutalement à la mémoire
des hommes par des crues soudaines et violentes, le plus souvent en automne
: les vidourlades et les gardonnades. Lorsque les vents viennent du sud,
les masses d’air se chargent d’humidité au-dessus de
la Méditerranée et viennent buter sur les reliefs des Cévennes.
Les pluies très abondantes qui en résultent dévalent
les pentes Cévenoles et débouchent d’un coup dans
les plaines des garrigues, où les lits des cours d’eau peuvent
être à sec. La lame d’eau avance, provoquant des crues
soudaines et inattendues, insoupçonnables quelques instants auparavant.
Le dicton « Quan lou marïn bouffo, lou Gardoun coufflo »
résume ce phénomène : quand le vent de la mer souffle,
le Gardon gonfle.
Les effets d’entonnoirs formés par les passages successifs
en plaines et en gorges aggravent la violence des crues, la vitesse et
la hauteur de montée des eaux. L’oubli ou la sous-estimation
de ce phénomène a généré des implantations
bâties inadaptées qui subissent les inondations chroniques
comme à Sommières, où le pont romain sur le Vidourle
a imprudemment été réduit dans sa longueur et le
nombre de ses arches pour les besoins de l’urbanisation. Les crues
de septembre 2002, exceptionnelles par leur ampleur, ont tué 23
personnes dans l’Hérault, le Gard et le Vaucluse. 315 communes
sur les 353 du département du Gard ont été sinistrées
subissant des dégâts considérables. Des milliers de
maisons ont été inondées ; certaines ont même
été rasées par les crues, comme à Collias
au bord du Gardon.
L’eau de la Camargue
Les variations de niveaux d’eau font la diversité des
milieux naturels de la Camargue
Les
marais, les étangs et les lagunes forment en Camargue la transition
entre les milieux sableux et la terre ferme. Ces différents habitats
sont tous confrontés à la variation du niveau de l’eau
et de son degré de salinité. Ce sont ces variations qui
composent la diversités des milieux naturels de la Camargue : dunes,
sansouires à salicornes et saladelles, pelouses basses à
iris maritime et glaïeul commun, pelouses hautes à trèfles,
forêts-galeries et ripisylves marquées par le peuplier blanc,
lagunes, étangs saumâtres, étangs d’eau douce,
… : chacun de ces milieux reflète une adaptation à
ces variations de sel et d’eau.
Une gestion délicate et conflictuelle de l’eau Camarguaise
Le paysage actuel de la Camargue est le fruit d’une
gestion délicate de l’eau, source de conflits comme dans
tous les pays de zones humides.
Le gradient de salinité est croissant du nord vers le sud au fur
et à mesure que l’on se rapproche de la mer : 2 grammes de
sel par litre dans les marais d’eau douce, 100 g dans les lagunes
en été. L’agriculture, et en particulier la riziculture,
exigent de grandes quantités d’eau douce, injectant l’eau
du Rhône dans l’espace du delta. Inversement les salins de
Giraud exigent de l’eau chargée en sel.
En matière de niveau d’eau, les naturalistes
défendent le principe naturel de la variation des hauteurs d’eau,
cette variabilité étant indispensable pour conserver les
richesses biologiques de la Camargue : envahissement d’eau douce
provenant des inondations du Rhône, submersions marines, sécheresse
estivale, sont favorables à la diversification des espèces.
Or les salines comme la riziculture favorisent à l’inverse
la régularité permanente du niveau d’eau, chacune
dans un sens :
- la riziculture injecte de l’eau douce en période estivale,
compensant la baisse naturelle du niveau d’eau ;
- inversement en période normale de hautes eaux, l’eau douce
est refoulée vers le Rhône, ce qui évite la détérioration
des bassins de préconcentration des salins de Giraud.
Enfin le delta, pris aujourd’hui entre des digues
et des cordons dunaires, piège les eaux issues des grandes inondations.
L’eau met alors beaucoup trop de temps à en sortir, provoquant
des dégâts biologiques importants qui s’ajoutent aux
dégâts matériels.
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