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> Paysages de l'Aude : les enjeux majeurs |
> Paysages de l'Aude : les enjeux majeurs 2. La maîtrise qualitative réciproque entre espaces agricoles, sites urbains et infrastructures des grandes plaines (sillon Audois)Le sillon Audois, large et longue série de plaines entre les confins du Massif Central et ceux des Pyrénées, forme l’axe naturel de communication entre Atlantique et Méditerranée. A l’échelle du grand paysage, il dessine un majestueux couloir, dont les limites nord comme les limites sud restent parfaitement lisibles : au nord l’élévation régulière de la Montagne Noire, qui s’achève en pointe au pic de Nore ; au sud la présence puissante de la Montagne d’Alaric qui se dresse avec vigueur au-dessus de la plaine, relayée à l’est et à l’ouest par les reliefs plus doux des collines Corbiéroises, de la Malepère et des collines bordant le Razès et la Piège.
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Le site historique de la Cité de Carcassonne est à cet égard remarquablement symbolique des relations paysagères à établir entre urbanisation, agriculture et infrastructures pour l’ensemble du sillon Audois : une ville dense, clairement délimitée dans l’espace, directement en relation avec les cultures, maintenue à distance des grandes infrastructures (A61) d’où se dégagent des vues lointaines sur la ville plus valorisantes et plus « vendeuses » pour l’Aude, le Languedoc-Roussillon et même la France, on l’admettra sans peine, que n’importe quel cortège de médiocres bâtiments d’activités. Certes il s’agit là d’un ensemble bâti exceptionnel, au caractère historique et patrimonial reconnu, figé dans ses dispositions urbaines directement héritées du Moyen Age. Il ne s’agit évidemment pas de prendre à la lettre le cas de la Cité comme un modèle paysager pour l’aménagement qualitatif du territoire. On aurait tort pourtant de réduire la valeur de la Cité à sa dimension strictement architecturale et historique. Il y a bien une valeur paysagère et urbaine tout aussi remarquable qui s’y ajoute, et dont on doit tirer enseignement. A l’heure du « développement durable », il n’est pas stupide d’analyser la durabilité d’une qualité paysagère au regard de l’histoire !
Car le cas de la Cité, que l’on admire tant, que l’on visite tant, qui remplit les étals de cartes postales, qui fait l’image et l’emblème de tout le département, offre un paysage en contrepoint exact des processus d’évolution constatés aujourd’hui sur le restant du sillon Audois. Il y a là largement de quoi s’interroger : l’arbre cache-t-il la forêt ? Ou plus précisément : la carte postale cache-t-elle le paysage ? Que l’on en juge : alors que la Cité est dense, l’urbanisation tend à se diffuser et à s’étaler dans les espaces agricoles des plaines du sillon Audois ; alors que les limites de la Cité sont claires et nettes entre espace construit et espace cultivé, elles apparaissent de plus en plus floues et diluées dans les périphéries des villes, de Narbonne à Castelnaudary ; alors que l’A61 met en scène la Cité par un avant-plan ouvert et préservé qui maintient à distance l’urbanisation de la route, l’urbanisation en cours ailleurs s’allonge à l’inverse autour des infrastructures, formant un manchon aveugle au territoire, tout entier dévolu à l’urbanisation commerciale et à son cortège d’enseignes et de publicités : autour de Narbonne surtout, mais aussi de Lézignan, de la bastide de Carcassonne, de Castelnaudary. Ces processus ne sont pas propres à l’Aude : ils sont malheureusement nationaux. Mais au cœur du sillon Audois, la présence rayonnante de la Cité et de sa relation au paysage, ô combien durable, les met cruellement en lumière.
Les routes et autoroutes constituent les premiers vecteurs d’accès et de découverte du territoire : à ce titre elles doivent faire l’objet d’attention pour éviter l’accumulation progressive de « points noirs » dévalorisants. Les enjeux concernent les emprises, par les soins d’aménagement et de gestion que l’on saura y porter, mais aussi et surtout les 300 m de part et d’autre de ces grandes voies qui traversent les plaines. C’est là que se joue la qualité de la vitrine du territoire, en concurrence avec les intérêts particuliers des vitrines commerciales d’entreprises désireuses de se faire voir, et des opportunités foncières pour réaliser des opérations d’urbanisation. Car l’image d’un territoire ne se réduit pas à la présence visible de zones d’activités, somme toute banalisantes à l’échelle nationale puisque quasiment toutes fondées sur les mêmes modèles (voire les mêmes enseignes). Après tout, l’agriculture perceptible depuis les grandes infrastructures participe aussi de l’image d’activité de la région ; et dans le département de l’Aude, la traversée du sillon Audois est notamment l’occasion de mettre en scène le passage du monde méditerranéen au monde atlantique.
Sans être nécessairement aussi marquants que celui de la cité de Carcassonne, les sites bâtis des villes et des villages du sillon Audois ne sont jamais posés au hasard et présentent toujours un intérêt :
A ce titre, ils méritent d’être identifiés, reconnus, qualifiés, pour nourrir les choix de développement et de préservation en matière d’urbanisme.
Le concept d’entrée de ville est insuffisant pour résoudre le problème de banalisation du paysage des grandes plaines à l’œuvre actuellement. La fragilisation des abords des bourgs concerne en effet tout l’espace de contact entre « le bâti » et « le non bâti » ; elle ne se réduit pas aux seuls linéaires des voies d’entrées/sorties. C’est le concept du « tour de ville », ou de « lisière agro-urbaine », qu’il faut aujourd’hui développer : l’aménagement et la gestion, dans l’espace et dans le temps, d’une zone de contact entre les espaces urbains ou à vocation urbaine, et les espaces à vocation naturelle et agricole.
Ces espaces peuvent prendre des formes très diverses : bande plantée de bois, bosquets, vergers, voie plantée et accompagnée de circulations douces, jardins familiaux, etc. Leur création doit être prévue dans les documents d’urbanisme et dans les opérations d’aménagement : emprises réservées des PLU, cahiers des charges des lotissements, plans d’aménagement des zones d’activités, plans d’aménagement des remembrements, … L’aménagement de ces espaces de transition doit intégrer la maîtrise urbaine, architecturale et paysagère des opérations de constructions, jusqu’aux clôtures et aux plantations des fonds de parcelles, dans les PLU et dans les permis de construire ou d’aménager.
Sur tout le pan est méditerranéen du sillon audois, la crise viticole actuelle se traduit par un arrachage qui n’est pas massif en 2007 mais dont on peut difficilement prévoir l’évolution. Sans projet agricole de soutien et de recherche de cultures et filières de substitution, la qualité des paysages sera irrémédiablement fragilisée par l’ouverture à l’urbanisation d’une partie des parcelles de vignes sans avenir, pour des raisons économiques et sociales de circonstance : accentuation de l’étalement urbain et du mitage, consommation irréversible des terres agricoles, banalisation des limites et entrées de villes et villages, affaiblissement des centralités, délitement des sites bâtis.
Quelle que soit l’évolution des cultures agricoles, les structures arborées existantes participent à la qualité des paysages du sillon Audois : ripisylves, arbres isolés, brise-vent, bosquets, bois, alignements, … Elles organisent l’espace de la plaine, enrichissent les milieux naturels et les ambiances, cadrent les vues, donnent de la profondeur, « humanisent » les échelles des surfaces cultivées, offrent des repères, marquent les horizons, composent des transitions avec les routes ou l’urbanisation, etc. La valeur de ces structures végétales peut être aussi sociale (ombrage, lieux de promenade, …), écologique et cynégétique (diversification des milieux et des habitats), techniques et économiques (protection des sols et des cultures contre l’érosion et le vent, valorisation des produits issus des plantations – bois, fruits, …-, valorisation touristique des espaces aménagés, …). A ce titre, elles méritent d’être identifiées (typologies), repérées (notamment dans les documents d’urbanisme locaux), et faire l’objet de mesures de préservation, mais aussi de créations nouvelles et de gestion.
Si le Canal du Midi cristallise l’essentiel de l’attraction et la fréquentation des bords de l’eau, les cours d’eau naturels qui drainent le sillon audois, Aude, Fresquel, Orbieu et leurs affluents, méritent aussi une attention plus soutenue et volontariste en terme de préservation et de mise en valeur de leurs abords : bien que parfois à sec ou faiblement alimentés, ils concentrent une fraîcheur et un ombrage bienvenus dans les vastes étendues cultivées de la plaine, et diversifient les ambiances. Leur mise en valeur passe notamment par la création de bandes enherbées de protection et d’accompagnement, la gestion des berges et des ripisylves, le renforcement de l’ombrage et des plantations, l’accessibilité, le parcours par circulations douces, la mise en valeur des passages en ville ou village.
Le canal du Midi fait l’objet depuis plusieurs années d’efforts de reconnaissance et de protection comme patrimoine culturel d’exception. Il contribue de façon majeure à la qualité paysagère des grandes plaines du sillon Audois, qu’il traverse dans toute leur longueur : par la finesses de son tracé dans la topographie des territoires, par la qualité des ouvrages construits, par l’ampleur des platanes qui l’accompagnent, par les ambiances qu’il offre (lumière, fraîcheur de l’ombre et de l’eau) et par la découverte douce du territoire qu’il autorise, en bateau, à pied ou à vélo.
Inscrit au patrimoine mondial de l’humanité, classé au titre des sites (articles L 341-1 à 22 du code de l’environnement), il fait l’objet d’études pour définir la « zone tampon » à instaurer à ses abords, qui doit permettre de préserver ou reconquérir sa relation avec les territoires traversés. Les diagnostics montrent en effet sa fragilité : proximité des grandes infrastructures, pression du développement de l’urbanisation, demandes de modifications des gabarits des ouvrages, gestion nécessaire des structures végétales, vieillissement et dégradation des ouvrages, menace du chancre coloré du platane,…
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